“I wann be a oouse! “ Voici mes mots prononcés à l’âge de 3 ans, à la demande de mon père qui m’enregistrait sur une bande magnétophone qu’on ne voit plus depuis belle lurette. Sa question étant “what do you want to be when you grow up?” Que veux-tu être quand tu seras grande? Avez-vous compris ma réponse? Non? Et bien, j’ai répondu dans mon anglais plus que sommaire, que je voulais être une maison.
Être une maison. Drôle de réponse, même pour un enfant de trois ans. Cinquante ans plus tard, je crois avoir compris ma réponse. Et c’est au boulot, il y a trois semaines, que j’ai finalement compris le sens de cette phrase prononcée, et que j’ai compris la profondeur du message que je passais.
Cher Papa, toi qui étais si peu présent durant ma très tendre jeunesse. Toi, mon père, qui étais distant, même quand tu étais proche de moi.
Chère Maman, toi qui me rejetais, moi bébé, parce que tu croyais que j’étais le diable (était-ce ta première manifestation de ta bipolarité, encore non-diagnostiqué?), et que tu souffrais sûrement d’une dépression postnatale.
Vous, chers famille, famille de mon père, famille de ma mère, moi enfant, et mon frère enfant, nous n’étions pas vraiment des vôtres. Anglais? Français? Catholique ou Juif? Riche? Pauvre? Qu’étions-nous?
Inanimée, inerte, un objet, une chose, voilà ce qu’est une maison. Mais au-delà de ça, une maison c’est fondamentalement quoi? Pouvons-nous nous entendre pour dire qu’elle est un abri, un endroit de repos, un confort, une place à déposer ses choses, à reposer son corps, à se nourrir et à se « grounder ». Oui, des fois, une maison peut être un endroit cauchemardesque aussi. Mais ça, ça ne rentre pas dans l’esprit d’un enfant de trois ans.
C’est étrange, de réaliser que j’ai passé ma vie à vouloir devenir une maison. Ou plutôt, de devenir « at one » avec une maison. Que nous, moi et la maison, soient symbiotiquement liés ensemble, tissées et inséparables.
Pour ne pas porter confusion, ce tissage de moi et la maison, ce n’est pas pour être une maison physique, je ne suis pas une propriété, un lieu, un objet. Vous comprenez? Ah. Je dois être plus clair. Vouloir être maison, c’est un état d’âme. C’est d’être psychiquement connecté. Au fait, c’est juste d’être. Et de se sentir être. Être bien, être aimé, aimer et aimer être. Come on now, vous devez comprendre. Lisez entre les mots, ça explique tout.
Ah, Louise Bourgeois ta série ‘femme maison’ qui m’a toujours inspirée, je la comprends à fond maintenant plus que jamais.
Et oui, drôlement, mon « breakthrough moment », c’est arrivé au boulot, en voyant cette sculpture d’un enfant avec la tête de maison. Pourquoi drôlement, vous dites? Mettons, que ce dont je m’attendais de mon emploi et de ma nouvelle carrière, l’harmonie si recherchée, c’est encore un peu insaisissable. Mais cela sera peut-être pourquoi j’ai ressenti si profondément la vérité de mes mots prononcés il y a déjà cinquante ans.
Pour que je devienne maison, que dois-je faire? Suis-je déjà maison? Dois-je me débarrasser de ma maison physique? Alors, quoi. Voilà, c’est décidé. Je replonge dans les maisons vécus, pour en ressortir reconstruite, brique par brique, et d’être, finalement, maison.
La série commence…